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Ma vie en apnée

J’avais 22 ans. J’avais un bac en poche, quelques voyages à mon actif, une famille aimante et plusieurs amis. J’avais fait de la danse, du théâtre, de l’écriture, de l’aide humanitaire. J’avais été tutrice, sauveteur, caissière, préposée, animatrice spécialisée. J’avais des projets, des rêves, des passions, de l’ambition. J’avais connu des garçons, juste assez. J’avais mis fin à ma dernière relation au milieu de l’été, après un peu plus d’un an de fréquentation sérieuse, parce que je sentais au fond de moi que nous ne voulions pas les mêmes choses. Ce fut difficile, mais nécessaire. Et je me suis dit que j’avais tout mon temps, que je ne voulais pas me lancer dans une nouvelle relation tout de suite, que j’allais prendre du temps pour moi…

Ça a duré trois mois. À peine le temps de faire mon deuil de l’autre. C’est arrivé comme une tornade dans ma vie. Un coup de foudre, un élan, une attirance? Encore aujourd’hui, je ne sais pas comment le nommer. Dès nos premières discussions, j’ai eu l’impression qu’on parlait le même langage, qu’on avait les mêmes valeurs, les mêmes buts, les mêmes objectifs. On avait tant de points en commun! C’était emballant, exaltant et un peu épeurant aussi. On dessinait à coup de belles discussions le plan de match d’une vie qu’on se surprenait déjà à bâtir ensemble. Je ne comprenais pas encore que j’étais en train de prendre un cours de plongée en accéléré, et que je ne reverrais pas la surface avant plusieurs années…

On a fêté notre premier anniversaire avec un bébé de deux mois, une hypothèque encore fraîche et des testaments en noir sur blanc. De la petite étudiante chez ses parents, j’étais passée à mère au foyer et propriétaire. Selon le plan de match, c’était une ascension fulgurante. Selon mon senti, c’était une descente abrupte et étourdissante. Le temps a filé et les grossesses se sont rapidement multipliées, tout comme mon mal être. Sans que je ne puisse mettre de mots précis sur la façon dont je me sentais, sur ce que devenait ma vie, je savais bien au fond de moi que j’étais à la dérive. J’ai tant de fois tenté de changer les choses, voulu améliorer notre relation, tendu la main et cherché en vain. J’aurais aimé pouvoir réécrire toute l’histoire depuis le début, en prenant soin de rédiger un glossaire exhaustif de ces valeurs que nous pensions avoir en commun…

Il m’aura fallu six ans pour comprendre et accepter que j’étais dans un cul-de-sac. Que si je ne sortais pas la tête de l’eau, j’allais me noyer ou me laisser couler. Que personne d’autre n’allait le faire à ma place. Que j’avais perdu tellement de plumes que j’avais maintenant froid en permanence. Au cœur de cette relation toxique, il ne semblait rien subsister de la fille pleine de vie et d’énergie que j’avais jadis été. Il m’aura fallu me regarder dans le miroir de longues minutes et sentir une peur viscérale m’envahir à l’idée de ne pas pouvoir répondre à cette question décisive : « Jusqu’où accepteras-tu de descendre avant de te décider à sortir de là? » Cette peur était tellement grande qu’elle a surpassé toutes les autres en intensité et j’ai enfin pu trouver les miettes d’estime et de courage pour me libérer.

Même si plus de trois ans se sont écoulés depuis ma séparation, et que l’eau a coulé sous les ponts, il m’arrive encore de rencontrer des gens qui sont surpris de m’entendre raconter mon parcours avec sérénité. Il semble que ce soit plus facile, plus instinctif ou plus adéquat de victimiser, de plaindre ou de s’apitoyer sur cette réalité. C’est bien loin d’être mon cas. Sans m’en être sortie totalement indemne, je m’en suis très bien tiré, et je crois sincèrement que ce détour m’a permis de devenir celle que je suis. Je sais aujourd’hui que mon instinct est bienveillant alors que je peux me perdre dans les dédales de ma raison. Je sais que les apprentissages que j’ai faits m’ont rendue plus forte, plus sensible aux autres et plus confiante. Je sais surtout à quel point il est précieux et irremplaçable de pouvoir respirer l’air à plein poumons, d’avoir la tête hors de l’eau et de fixer l’horizon. Parce que je n’accepterai jamais plus de vivre ma vie en apnée…

Marie-Hélène

  • Soleine - Comme je me sens interpellée par ton texte! Les mots sont si bien dit.. merci!répondreannulé