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Mon père, ce fantôme (Partie 2)

Une grande maison, calme, sereine, sur le bord du lac.  Les longues cheminées à l’horizon ne mentent pas, je suis bien de retour chez moi. L’été s’étire, la chaleur et l’humidité mentent sur le temps de l’année. Papa vient de faire son entrée, frêle mais décidé, presque résigné. Je l’accueille, l’installe, lui demande ce qu’il a envie de manger, regarde la télé avec lui et nous nous regardons en silence. De longs silences, parfois lourds…que dire? Puis, son humour se pointe le bout du nez, il me raconte une bonne blague ou évoque un souvenir maintenant clair… la radiothérapie a bien fonctionné.

Nous passons de longs après-midi à écouter de la musique, à chanter et à évoquer les souvenirs qui remontent. Nous n’avons plus conscience du temps qui passe et nous faisons un pied-de-nez à celui perdu à s’engueuler, à se parler sans s’écouter, à s’écouter sans s’entendre… Je veux laisser de côté tous nos malentendus, nos non-dits et profiter pleinement du « ici et maintenant », car demain ne sera peut-être pas, aujourd’hui finira peut-être tôt.

Pendant près de trois jours, je jouerai à l’aidante de jour et de soir, planifiant de façon serrée l’horaire des visites de chacun pour que papa ne soit pas seul. J’irai lui faire des soins pour le détendre et lui faire du bien et l’instant d’après, j’aurai la lourde tâche de vider son appartement en silence… sans rien lui dire, car il a oublié qu’il est en maison de soins palliatifs. Tout se bouscule dans ma tête. La culpabilité, l’impression de le chasser de chez lui. Malgré tout, les bons moments des derniers jours me laissent croire, même un bref instant, qu’il y reviendra peut-être…

De plus en plus loin dans ses pensées et en regardant fixement le coin de la pièce qui lui sert de chambre, la dernière qu’il habitera, mon père perd contact avec la réalité. Il ne réagit presque plus, même au son de ma voix. Je reviendrai à son chevet pour son départ, je lui avais promis. Je lui tiendrai la main comme on tient celle d’un enfant craintif, lui donnerai la permission d’y aller même si j’ai envie de le retenir, déposerai ma main sur sa poitrine et capterai son dernier battement de cœur.

Maintenant, ce minuscule corps qui l’a tant fait souffrir n’est plus qu’une enveloppe dont il est enfin débarrassé. Il peut désormais être libre et aussi grand qu’il le souhaite.

– Julie

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