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Voici votre carte

« Bonjour Mme Beaupré, mon nom est Docteur « Nouvelle », voici votre carte. Les cellules sont cancéreuses »

Ce n’était pas aussi direct et lourd qu’on pourrait le croire. Elle tenait toujours ma carte au moment où elle a dit « cancéreuse ». Elle me regardait pour mieux lire ma réaction et savoir si j’étais prête à entendre le reste. Je ne suis pas tombée vers l’arrière comme on voit dans l’annonce. Du tout en fait. Je me sentais bien campée dans ma chaise, les oreilles grandes ouvertes et prêtes à entendre le reste. Je n’ai pas pensé à la mort, je n’ai pas pensé à rien. Sur le coup, j’ai entendu « chimio » et « mastectomie totale ». J’en ai même avancé mon corps un peu vers l’avant pour être plus près d’elle, pour bien comprendre, pour tout écouter. Et c’est quand il a posé une question que j’ai réalisé que l’amoureux était là. Il avait entendu la même chose que moi, mais comment cela avait-il bien pu résonner en lui. Je ne voulais pas le regarder, je ne pouvais pas le regarder. Croiser son regard serait de voir une réalité à laquelle je ne veux pas tout de suite faire face. Je dois entendre, comprendre l’information et suivre les prochaines étapes. « Je vais vous faire un examen ». Et j’ai fais quelques blagues, et on a un peu rit. Reste que, j’ai toujours ce besoin de dédramatiser même le plus dramatique. Elle ne m’a pas parlé de mort, « d’incurable », de mois à venir… ça reste bon signe ?.

Futurs examens, chimiothérapie, mastectomie… elle répète chaque étape pour être certaine qu’on a bien compris. Les mots arrivaient dans mon cerveau comme si celui-ci était déjà prêt à les entendre. Il n’y avait pas de choc, pas de surprise, si j’étais pour avoir le cancer, ce ne serait pas la version douce et tranquille. La médecin a été avec nous d’une gentillesse incroyable. Elle nous a expliqué, du mieux qu’elle pouvait, à plusieurs reprises, le peu d’informations qu’elle avait. Il y avait eu 4 biopsies, une seule était ressortie négative. Mon sein gauche allait bien lui, tout était beau. Les 3 autres contenaient des cellules cancéreuses, ou le changement de ma vie en fait. Mon sein droit a changé de fonction maintenant, il est celui dont on ne veut plus. Le cancer a pris sa place, a progressé, a atteint mon mamelon et va sous peu envahir ma maison.

Dès la sortie de la clinique du sein, je voyais les bras de l’amoureux s’approcher de moi. Non, pas maintenant, pas tout de suite, ce n’est juste pas possible pour moi. Je ne voulais simplement pas pleurer cette annonce ici, dans les couloirs de l’hôpital, devant les yeux des spectacles qui se demanderont quelle nouvelle nous avons eu. Je ne voulais pas pleurer pour étouffer mes pleurs dans quelques minutes et devoir repartir le cœur en miette et l’âme par terre. Je voulais simplement rentrer chez moi, dans ma maison, dans cet endroit vierge de ce nouveau drame dans nos vies. « Je ne te donnerai pas de bec s’il vous plait, on se revoit à la maison ». C’est ainsi eu nous avons quitté chacun vers notre véhicule, sans même s’être tenue la main. J’ai donc pris le volant et j’ai doucement roulé vers la maison… comme un zombie… comme si je n’étais pas tout à fait en contact avec mon corps. Tout cela se promenait dans ma tête, comme un malheur, comme un mauvais rêve, comme un questionnement sans fin. Je roulais vivant mes derniers moments d’innocence. Lorsque j’allais m’arrêter à la maison, lorsque j’allais y penser et le laisser arriver… j’allais avoir un cancer. Dans quelques instants, il y aura un cancer à l’intérieur de moi. Une partie non voulue, un être dont je ne veux pas, dont la présence m’est indésirable…

Je me suis assise sur le balcon, toujours de glace, incapable de traverser cette porte qui représente tout ce que j’aime. Cette porte qui mène vers l’amour de notre famille, vers nos rires, vers nos histoires, vers tout ce qu’on a bâti dans les 10 dernières années. Puis je l’ai vu sortir du véhicule, les yeux lourds remplis de larmes que j’ai causé… rempli d’une détresse dont il est la victime par choix et non par mauvais sort. Mais c’est lorsque ses bras sont arrivés autour de moi que le vent m’a poussé, que le temps a changé, que mon corps a lâché… Je ne veux pas, ça ne me tente pas, je refuse, je veux ma vie d’avant. Et arrive le pourquoi, pourquoi moi, pourquoi encore le malheur sur nous, qu’ai-je bien pu faire de si méchant pour que la vie ne me laisse jamais être heureuse trop longtemps. Je crois, j’espère, être une bonne personne. Il n’y a rien que j’aime plus que de semer la joie et le bonheur autour de moi. Que ce soit à travers mon métier, mes amitiés, ma famille, mon amour… rien n’est plus important que de décrocher un sourire autour de moi. Alors pourquoi?… Alors pourquoi?…

Et la rage m’a envahi, en un instant, sans crier gare. Je ne méritais tout simplement pas ça, pas une autre mauvaise nouvelle, pas un autre destin tragique! Mon histoire ne serait pas une trilogie, il fallait encore y ajouter un chapitre. Cette rage est venue prendre toute la place, sortant de ma gorge avec ardeur et fureur. Je ne veux pas, tout simplement pas. Non je refuse… mais CALISS quessé que j’ai faite OSTI. Un cancer, un CANCER! Je ne veux pas perdre mes cheveux, je ne veux pas perdre mes seins, je ne veux pas tomber malade…

Et on se colle, et on s’aime, et on a mal… ensemble, tous les deux. Le cancer m’a frappé aussi fortement qu’il l’a frappé. Et je n’ai plus un cancer à moi seule, nous avons un cancer ensemble. Il sera là, je sais qu’il sera là à chaque instant, je sais que son amour me portera et qu’il prendra soin de moi. Son réconfort m’apaise et me fait mal en même temps. Je ne veux pas qu’il s’occupe de moi, je veux le faire rire, le rendre heureux, lui faire découvrir comme la vie est belle et douce. Mais ma vie à moi, elle n’est pas si simple que ça… et encore une fois, sans le vouloir, je lui fais mal…

Le tourbillon prend de plus en plus de place dans ma tête, je vois tranquillement apparaître la liste des autres personnes à qui sous peu je ferai mal, encore une fois, avec mes mauvaises nouvelles. Comme une personne qui aime autant le bonheur comme moi peut être sans cesse porteuse de mauvaise nouvelle? Comment vais-je en parler à mes enfants, à mes parents, à ma sœur et mon frère, à mes beaux-parents, à nos familles, à mes amis… je ne veux pas voir leur regard changer, je ne veux pas devenir celle à qui tout arrive! Je ne veux pas voir la tristesse et la pitié dans leur yeux. Je ne veux pas devenir « la cancéreuse ». Je veux rester moi, tout simplement, celles qui a tant d’histoires à raconter et qui adore faire rire les gens autour d’elle.

Mais le 12 mars 2019 à 14 :00, ma vie a changé et il n’y a rien à faire, je ne peux pas revenir en arrière. Je dois donc prendre le temps d’avoir mal et pleuré sachant très bien que dans quelques minutes, je me refuserai cet accès, je vais me relever les manches et je vais me préparer à me battre avec une force surhumaine face à un adversaire que je ne connais pas. Je l’ai alors pris par la main, j’ai mis notre chanson préférée, et nous avons tendrement dansé au centre de ce salon qui nous est si familier. Nous avons dansé et nous nous sommes aimé, tendrement, des larmes coulant sur nos joues, pour emmagasiner tout ce dont nous aurions besoin pour les prochaines semaines, les prochains mois, les prochaines années. Car au final, peu importe ce que la vie nous amènera, à cet instant précis, nous étions convaincus qu’ensemble, nous ferons face à tout. Au final, tout va bien aller.

Geneviève

  • Lise Poirier Bélair - Bonjour Geneviève,

    La vie nous amène parfois, même souvent, sur des chemins que nous n’aurions jamais voulu emprunter. Ton chemin de vie n’et pas facile, je l’avoue mais ta force, ta résilience et surtout l’amour des tiens auront raison de cette maudite maladie.

    Pour avoir déjà passé par là (mon fils il y a 17 ans alors qu’il n’avait que 30 ans), je peux t’assurer que le rire, ça aide en titi. Mon Dieu que nous avons déconné malgré les traitements tellement agressifs avec tout les inconvénients que cela comporte. Bien sûr, nous avons pleuré mais nous nous sommes tenus les coudes et le monsieur méchant a été éliminé.

    Je tiens aussi à te dire que dans ma famille, une tante a aussi dû passer par la mastectomie il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui à 72 ans, elle fait du ski, du vélo, s’entraîne, fait du bénévolat, bref elle est aussi active que lorsqu’elle était jeune. Regarde autour de toi, tu vas aussi passer au travers de cette nouvelle épreuve.

    Alors, continue de rire autant que possible, mais surtout accepte tout l’amour qui te sera donné. Reste la tête haute. Tu seras magnifique même sans cheveux!

    On ne se connaît pas vraiment mais sache que tu seras dans mes prières chaque soir en me couchant. Je te souhaite beaucoup de courage.

    Liserépondreannulé

    • Geneviève - Merci énormément pour ce beau message Lise! Je le prends dans mon bagage! – Genevièverépondreannulé

  • Linda - C est la maladie qui fait du mal autour de toi mais surtout pas toi,vie chaque étape a ton rythme et téléphone si ça peut te soulager un peu je serai là pour toi ?????répondreannulé

  • Annie Gingras - Geneviève… Geneviève… Magnifique Geneviève. Ton texte est sublime de vérités et d’émotions. C’est effectivement incroyable les malheurs qui arrivent en paquet de 12… Je te souhaite sincèrement de continuer de puiser le beau dans tout ce laid et je suis certaine que tu les vainqueras tous, un après l’autre ces malheurs de m****… En attendant, je vous envoie mes pensées positives. Tiens bon xx P.S. Mes larmes ont coulées à fond. Tu as réellement le talent de l’écriture toi!répondreannulé

  • Claude - Quel beau texte, percutant et fort. Merci de le partager.répondreannulé