Monsieur Le Temps

Cher Monsieur Le Temps,

Pendant bien longtemps, j’ai eu cette impression profonde de me retrouver en pleine tempête. Mon vœu le plus cher était de dormir pour ne plus avoir mal et arrêter de penser. J’aurais tant aimé prendre mes jambes à mon cou et m’échapper de ma réalité qui était trop dure à supporter. Malheureusement, le seul remède qu’on a pu me prescrire était celui de vous laisser faire votre œuvre !

Initialement, je ne vous ai pas fait confiance et je ne vous ai pas cru. Je ne le cacherai pas, vous preniez trop votre temps! À ce moment-là, il m’était impossible de voir qu’un jour vous seriez en mesure de transformer tout en douceur, ces difficiles passages obligés. Maintenant que les années se sont écoulées, je dois avouer, bien malgré moi, que vous avez fait du très beau travail et je vous en remercie.

Lorsque mes papilles gustatives ont repris connaissance et que j’ai pu savourer à nouveau le goût du bonheur, je vous ai retourné dans tous les sens en cherchant désespérément un bouton pause sur lequel il m’aurait suffi d’appuyer pour arrêter vos aiguilles de tourner. Ma vie était belle de nouveau et j’avais tout simplement envie de savourer chacune de ses nuances au présent. Mais vous, je ne pouvais pas vous retenir puisque vous vous étiez recyclé en coureur automobile et vous me filiez littéralement entre les doigts.

Depuis que ma vie a repris son rythme, j’ai commencé à tellement vous aimez que je souhaiterais vous cloner. Aujourd’hui, je sens que ma vie s’accélère et que le temps me manque. Parfois je me demande pourquoi je m’entête à pratiquer la course à pied alors que j’ai l’impression de courir sans cesse ? Aussitôt que le réveil sonne, c’est la course folle du matin qui commence. La garderie ouvre à 7h et je dois être au bureau pour 8h. Lorsqu’on soustrait 45 minutes (si tout va bien !) de transport en commun et 7 minutes de marche… disons que ça ne laisse pas grand jeu ! Le soir, la même histoire se répète. Pas une minute à perdre ! Je maximise le chemin du retour en autobus pour répondre à des courriels, lire quelques statuts Facebook et préparer mentalement ma soirée qui est, elle aussi, organisée aux quarts de tour (souper, lavage, lunch, etc.) et si je suis chanceuse, un peu de télé au gym en courant sur mon tapis. Je me réjouis le vendredi et j’angoisse le dimanche en pensant au lundi. Si seulement il était possible de payer pour avoir plus d’heures dans une journée… Mais vous n’êtes pas achetable qu’on m’a dit.

M. Le Temps, l’autre jour en courant sur mon tapis vous m’avez présenté votre conjointe. Quel beau cadeau vous m’avez fait ! Je ne vous cacherai pas qu’elle est beaucoup plus discrète et moins vedette que vous. C’est sûrement pour cette raison qu’elle passe souvent inaperçue. Nous avons couru 11.5 km ensemble, et je me suis surprise à ne pas penser à vous puisqu’elle m’a ramené à l’essentiel. Physiquement et psychologiquement, ce fut l’une de mes plus belles courses depuis longtemps. Je n’ai pas regardé ma montre, ni l’horloge… et encore moins le tableau de bord de mon tapis roulant. Je courais, je me sentais agréablement bien et voilà tout ! Depuis ce dimanche après-midi, j’essaie de la retrouver à chaque entrainement par ce que sans elle, ma course est plate et monotone… Nous sommes en quelques sortes devenues des partenaires de course pour le moment, mais j’aimerais beaucoup lui faire une place dans ma vie. Vous aviez raison… Une fois qu’on la connait, qui peut résister au charme naturel de Mme Moment Présent ?

– Mélanie