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La femme-phare

Le cancer, je l’ai déjà croisé. On a déjà été assez près, lui et moi. En fait, il a habité dans ma maison. Dans le corps de mon garçon. Je me souviens très clairement de l’annonce du diagnostic, vers 2h du matin, sous l’éclairage aux néons d’un cubicule de l’urgence pédiatrique. Une bombe servie en anglais sur un plateau de soulagement. Oui, de soulagement. Parce que je savais depuis des semaines que quelque chose ne tournait pas rond, même si personne n’arrivait à mettre le doigt dessus. Mon fils a couru le marathon de la vie pendant trois ans. Il a franchi la ligne d’arrivée avec le sourire. Il m’a dit qu’il allait s’ennuyer de l’hôpital. De la salle de jeux. Des anesthésistes qui l’aidaient à s’endormir comme par magie. Des popsicles oranges, quand il revenait à lui. Du clown, Molly.

Je me suis souvent dit que le cancer pédiatrique était effroyable et beau à la fois. Le sentiment d’injustice côtoie l’émerveillement à chaque instant. La frustration et l’impuissance ne peuvent régner longtemps quand on vit l’instant présent à travers le regard d’un enfant. Et je me suis aussi dit que la partie devait être bien différente pour un cancer à l’âge adulte. Que des petites autos, des bulles et un hot-dog n’ont pas exactement le pouvoir de faire oublier tous les soucis. Que les responsabilités d’un parent ne se comparent en rien à celles d’un tout-petit. Que finalement, un papa ou une maman avec un cancer mériterait autant, sinon plus, d’attention, d’amour, de support, de tendresse, d’empathie, de magie…

La maladie apporte avec elle son lexique. Ainsi, on parle d’adversaire, de combat, de victoire, de défaite. On parle aussi de courage. C’est une notion qu’on utilise souvent à toutes les sauces… J’ai l’impression que le discours populaire a donné ses titres de noblesse au mot courage simplement par opposition à l’épreuve. Comme si l’existence d’une difficulté, particulièrement lorsqu’elle est en lien avec la santé, suffisait à elle seule à créer du courage. On n’est pas courageux à cause de notre enfant malade. On n’est pas courageux parce qu’on a un cancer. On fait ce qu’il faut faire, ce qu’on peut faire. On fait le mieux dans notre possible. On ne se demande pas si on est courageux, si on va l’être ou si on doit l’être. On est et c’est tout. Le courage, ça n’a rien à voir avec la montagne qu’il y a devant soi. Ça ne dépend pas de sa distance, ni de sa hauteur, ni de sa pente. Ça ne dépend pas de la qualité du sentier, de sa longueur ni de sa largeur. Le vrai courage, pour moi, c’est de savoir interpréter sa boussole intérieure et d’oser lui faire confiance. C’est d’être authentique et de rester fidèle à celui ou celle que l’on est fondamentalement, dans ce qu’il y a de beau… et de moins beau. C’est de laisser toute la place à ce qui est vrai. C’est de le mettre en lumière.

Il y a quelques semaines, le cancer est venu frapper à la porte de la vie d’une femme que je ne connais que par petits bouts. Et il lui en a pris un. Il ne savait pas qu’il se trompait royalement d’adresse et qu’il courrait à sa propre perte. Qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Que son obscurité à lui serait anéantie par son aura à elle. Qu’en lui enlevant un sein, il allait fissurer l’armure qu’elle portait avec fierté et laisser un trou béant dans sa poitrine, d’où s’échapperait à grands torrents un flot d’énergie d’une puissance infinie. Une énergie de convalescence, comme nourriture de vie. Soigner, cicatriser, guérir, sauver. Soi-même. Puis le monde. Il ne savait pas, le cancer, qu’il aurait affaire à un phare. À une femme-phare. Plus grande que nature. Il n’avait même aucune idée qu’il était possible de rayonner autant. Et à vrai dire, elle non plus. Parce qu’avant elle, le soleil ne s’était jamais levé partout à la fois.

Les enfants malades, on tente de les baigner dans la magie. Toi, par ton courage, ton authenticité, tu l’incarnes.

Marie-Hélène